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Ghomlah
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6 janvier 2005

La vie est ailleurs... (2)

C’est une logique compréhensible que celle qui consiste pour les citoyens d’un pays, à se juger et à prendre conscience de leur place dans le monde, en se renseignant sur le sort des citoyens d’autres pays. C’est également une logique compréhensible générale à tous les citoyens du monde, que de ne jamais perdre espoir et de toujours croire que du discours de ceux qui les gouvernent, pourrait naître des actes qu’ils attendent parfois depuis longtemps pour changer leur sort.
Ainsi, du Cameroun qui navigue dorénavant vers des horizons sombres en cette fin d’année 2004, ses citoyens voudraient surtout retenir, en suivant l’actualité, que le pays s’est définitivement enfermé dans l’obscurantisme, et que ses dirigeants, pour n’avoir pris aucune initiative de réconciliation ou de rassemblement réel, ne lui préparent plus qu’un destin sombre.
La force des peuples a de tout temps été cette capacité qu’ont certains comme le peuple sud africain, de redessiner leur destin par un élan patriotique articulé sur des principes simples d’humilité et de pardon. Il s’agit surtout d’un amour sincère des dirigeants pour leur pays et la prédisposition à reconnaître leurs fautes. On attendait une Afrique du Sud déchirée de part en part par des procès interminables et des règlements des comptes au lendemain de l’accession de la majorité noire au pouvoir, on a plutôt assisté à un triomphe de la sagesse qui aura au moins contraint l’Occident particulièrement, de respecter un peu plus ces gens que l’idéologie raciste avait traités de tous les noms d’animaux sauvages.
En mettant sur pied la commission Vérité et réconciliation, le pouvoir de l’Anc sous la conduite de Nelson Mandela, ne s’est pas seulement rangé à cette rhétorique des sandinistes du Nicaragua qui déclarèrent, “ notre vengeance sera le pardon ”, il a montré aux dirigeants de la planète, la voie à suivre si effectivement ils ont à cœur de rassembler leurs peuples, de redonner à la coexistence des citoyens un sens, à la république une âme, et à l’avenir un espoir.
Le citoyen camerounais de la fin d’année 2004, se retrouve perdu, car après avoir en plus d’un quart de siècle attendu une lueur d’espoir, et espéré que le discours se traduise enfin en réalisations, il ne sent plus que la terre fondre sous ses pieds, le pays chaviré comme un navire ivre sans capitaine, et sa jeunesse finir comme un arbuste qui meurt dans un marécage.
Le Cameroun était déjà un océan de haines et de désordres de tout genre, faisant penser que son président ne manquera pas de saisir l’occasion d’une auto réélection pour changer le cours de l’histoire, laver le linge sale en famille, et même présenter ses excuses à ses compatriotes dans un ultime élan d’humilité et de réconciliation.
Le peuple de cette république de 475.000 Km2, avait assez de ces gouvernements pléthoriques dont la seule spécialisation est de dévorer les richesses nationales et de multiplier les gabegies insensées. Le pire était à venir, puisqu’ils ont maintenant à la fois le gouvernement des nations unies, le gouvernement des ethnies divisées, le gouvernement des amis qui ne jurent que par “ chacun pour soi et Dieu pour tous, tant pis pour celui qui pense au sort du pays ”.

C’est dans ce contexte, que l’on apprend sur les ondes internationales, que le Maroc a commencé le grand ménage, en mettant sur pied une commission dite “ équité et réconciliation ”, pour exorciser les démons de la torture et de l’oppression des années noires du régime d’Hassan II. A Moscou pendant ce temps, les députés ont voté à l’unanimité pour mettre fin à la célébration de la révolution bolchevik du 23 octobre.
Partout ailleurs, les dirigeants réfléchissent sur le meilleur moyen et les meilleures voies susceptibles de cultiver l’amour, la fraternité et la solidarité entre les citoyens. C’est qu’en réalité, le pouvoir politique ne serait qu’un instrument de Satan, s’il n’avait pas à cœur de réussir le rassemblement et la cohésion à l’échelle nationale. Ce que fait le jeune Roi Mohamed VI du Maroc aujourd’hui, n’est absolument pas une surprise pour toute personne de bon sens. Il n’y a pas besoin de qualifications extraordinaires pour comprendre que sans sondage du passé et sans pardon, aucun régime construit sur les cendres de la dictature et du sang des martyrs, ne peut se maintenir.
Comment le roi pouvait-il en effet gouverner un peuple qui est passé par une des oppressions les plus sanglantes du siècle dernier, sans avoir au préalable communié avec ses sujets franchement ? A Moscou, Poutine qui vient tout droit du Kgb (services secrets) dont il a été le patron, est mieux placé pour connaître ce que les Russes ont vécu comme barbarie au nom d’une révolution bolchevik qui au bout du compte aura avalé des millions de ses enfants.
Comment dans ces conditions où le monde semble faire par-ci et par-là le ménage indispensable à la stabilisation de ses valeurs et nécessaire pour la refondation de véritables institutions républicaines, accepter ou contempler sans mot dire ce qui se passe au Cameroun ? Parce que 1982 avait constitué le temps d’un formidable espoir pour les citoyens camerounais, ce qu’ils vivent et les lendemains qu’ils redoutent sont trop tristes.
Depuis le lancement des mouvements de revendication pour la démocratisation en Afrique, le Cameroun apparaît indiscutablement comme le pays où toutes les occasions ont été gâchées, les jeux faussés, et les ambitions réduites à un recul permanent dans tous les domaines. Beaucoup réalisent seulement maintenant la véritable signification de pays pauvres et très endettés.
Le problème ici n’est pas qu’une situation lamentable soit en cours, c’est que personne n’entrevoit de perspectives nouvelles, de plans de changement à long ou à court terme, ni aucun signe de modification de la philosophie directrice du pouvoir dans un système si corrompu. C’est un désastre total et mieux un désastre sans nom. La psychologie du pouvoir au lendemain de la dernière configuration du gouvernement pléthorique de 70 personnes de novembre 2004, a convaincu les derniers sceptiques sur l’absence de tout sens de l’intérêt national dans la planification politique du régime actuel.
Dans ce contexte, le Cameroun est devenu une vache morte où des hauts fonctionnaires pressés de se servir, sont parvenus au stade où ils vont tous croquer jusqu’aux os, exactement comme des carnivores à l’abris de toute sanction. Pour quelques braves compatriotes exilés qui caressaient encore le rêve d’une alternance de nature à leur ouvrir la voie d’un retour dans un pays civilisé et normalisé, il n’y a plus rien à attendre. Beaucoup sont maintenant résignés à mourir à l’étranger.
Quant aux jeunes sur place, diplômés ou non diplômés, les seules voies d’une évolution sont dorénavant celles du vol, de la feymania, et de la délinquance internationale. Pour les opérateurs économiques, le mot d’ordre semble être celui de la clandestinité pour échapper à une dérive fiscale qui n’a pour seul objectif que de trouver l’argent à tout prix pour financer les gabegies insatiables des pontes du régime.
Déjà mal loti en énergie, sous équipé en infrastructures urbaines, complètement arriéré aux plans sanitaire et éducatif, le bilan que présente le Cameroun, est à tel point effrayant, qu’il n’est pas maladroit de craindre le pire dans la haute sphère du pouvoir. Et s’il faut ainsi craindre le pire, c’est justement parce que la démarche qui aurait voulu que la plus haute autorité du pays esquisse une réconciliation, a été définitivement abandonnée en cette fin d’année.

Nous sommes donc en présence d’un pays qui n’a fait aucun sondage de son passé depuis 1945 et qui porte gravement sur son image, les traces de sang de plusieurs martyrs dont les familles n’ont toujours pas fait les funérailles, parce que les conditions des obsèques dignes de ce nom, n’ont jamais été réunies. Il revenait au pouvoir issu de la transition paternaliste de 1982, de régler les détails indispensables à l’accomplissement de ce pèlerinage dans la mémoire collective de notre peuple, mais il a malheureusement failli.
En fait, le désastre camerounais ne tient pas seulement en ce constat d’un état des lieux chaotique où toute autorité réelle a disparu, et où les principaux repères d’une société organisée ont été remplacés par des égoïsmes et des tribalismes institutionnalisés, il tient aussi à la crainte relayée dans toutes les conversations, d’un changement brutal au sommet du pouvoir à défaut d’un changement ordonné.

L’histoire nous enseigne que les régimes autocratiques bloqués ont succombé soit par une révolution de palais, soit par les effets combinés d’une pression de la rue et d’une intervention extérieure.
Les révolutions de palais ont régulièrement été diligentées par des proches ou des adeptes des cercles intimes du pouvoir. Les auteurs dans ce cas agissent soit pour laver des affronts personnels, soit pour satisfaire des ambitions inavouées, soit par procuration pour des commanditaires cachés. Ils peuvent aussi agir par réel patriotisme pour mettre fin à des dérives grossières. Traditionnellement, et en s’appuyant sur le cas du renversement de Bourguiba par Ben Ali, on s’accorde pour dire que certains autocrates étant devenus presque fous, leur chute n’était plus qu’un banal exercice de mise en résidence surveillée sans effusion de sang ni besoin d’explication.
Pourtant, en dépit de l’élégance que revêt souvent les révolutions de palais, des ratés peuvent intervenir et c’est le début des problèmes inextricables qui peuvent déboucher sur des carnages. La brouille survient en effet lorsque les auteurs de la révolution de palais n’ont pas pu s’entendre sur les détails de la suite de leur opération avant son déclenchement. il ne suffit donc pas seulement de renverser un président, il faut encore bien programmer avec une dextérité absolue, ce qui se passera après.
Les régimes ultra ethniques courent toujours le risque des brouilles au lendemain des révolutions de palais. La première raison tient au fait que les auteurs étant bien souvent de la même ethnie que le détenteur du pouvoir, ils tentent toujours de prendre la place du frère pour maintenir les avantages du village. Or les leçons des réactions populaires montrent que c’est la chose à ne pas faire car elle est tout de suite inacceptable et rejetée par le reste de l’establishment politique qui attend autre chose, et la société civile soutenue par les partenaires extérieurs qui militent pour la transparence.
En somme, la révolution de palais doit pouvoir simplement gérer les urgences, mettre les gens compromis à l’écart, et définir le cadre et les conditions d’une transition courte vers la démocratie. Transition ici suppose un processus électoral clair prenant appui sur une loi fondamentale fiable et des institutions effectivement républicaines. Aucune révolution de palais tendant à perpétuer le pouvoir et la gestion du village n’a donc de chance de succès. Elle peut au mieux ouvrir la voie à une conférence nationale, et au pire plonger le pays dans la guerre civile. Bien pensée et bien exécutée, elle est salutaire.
S’agissant de l’émulation de la rue sous la forme de pressions diverses, de marches de contestation, de villes mortes et de soulèvements des secteurs entiers de la vie sociale et économique, il est possible que les récriminations face aux pénuries de l’eau, l’électricité ou encore les bas salaires, puissent engendrer à terme un processus de renversement et de changement de régime.
C’est une banale grève d’étudiants qui précipita la chute de Tsiranana à Madagascar en 1974, alors que le régime se croyait tout puissant et à l’abris de surprises. Ce qu’il convient de noter dans ce cas, c’est la difficulté qu’il y a à donner une direction aux mouvements des foules dans la rue, et par conséquent l’impossibilité de dégager un leader ou des leaders tout de suite. Le risque est alors grand d’assister à une récupération par quelques opportunistes aux idéologies imprécises et sans programmes clairs. Madagascar dû passer par une succession de gouvernements militaires dont certains rallièrent le discours marxiste juste pour se faire accepter par la population.
Le problème qui se pose avec un pays comme le Cameroun, c’est que une politique de destruction systématique du mérite et de la compétence, ont créé un genre de citoyen très opportuniste qui constitue l’essentiel de la classe politique et de l’intelligentsia. En fait, la vie associative qui sert de creuset à la formation des cadres, a fondu complètement dans le découragement et le défaitisme. Les syndicats ont connu un sort similaire, rongés par les querelles ethniques attisées habilement par le pouvoir, et réduits en caisses vides.
Le désastre apparaît ainsi au grand jour, où l’on s’aperçoit que non seulement on a complètement détruit les fondements du pays en tant que république, mais mieux, on a trompé le peuple sur les chances de changement, lui servant des promesses jamais tenues, et créant finalement un pays divisé, incertain, laminé par la haine, le doute et la misère. Rien n’a été épargné, même le sport en a souffert et a été réduit au ridicule, brisant de belles carrières internationales.

Au moment où partout on pense à bâtir des grands projets pour demain, le Cameroun n’est donc plus que ce pays où dès l’école primaire, les enfants de moins de dix ans s’interpellent par leurs ethnies d’origine, et où il vaut mieux être magouilleur, tricheur, corrompu, cancre, intriguant, fraudeur et voleur, pour avoir des chances d’atteindre les sommets des pouvoirs et de l’honorabilité. C’est le désastre, et c’est pour cela que tout est devenu en fait possible et que tout peut arriver comme l’avait déjà observé l’unique cardinal du pays il y a plus de cinq ans.
Le plus grave c’est que le constat du désastre ne se limite pas à une inacceptable décrépitude interne. Si hier on déplorait surtout une image négative du pays à l’extérieur, aujourd’hui, c’est concrètement d’une place et d’un rang insignifiants qu’il faut parler. Considéré en effet comme un des pays africains de toute première importance sur le plan diplomatique jusqu’en 1982, le pays a perdu toute considération aux yeux de tout le monde dorénavant. Le Cameroun n’est plus influent nulle part, ni prépondérant sur aucun dossier. Conséquence évidemment attendue, ses nationaux se comptent sur les doigts d’une main dans la haute fonction publique internationale.
L’outil diplomatique, le personnel diplomatique, et tous les instruments qui concourent à l’expression, la vie, et la formulation d’une présence internationale ont été abandonnés à la déliquescence.
Si hier on rencontrait facilement un Camerounais en ouvrant la porte du bureau d’un grand directeur dans une organisation internationale, maintenant on a toutes les chances de tomber sur un Gabonais, un Sénégalais ou un Congolais. La vérité c’est que si le pouvoir de Yaoundé n’a aucune politique d’emploi pour les milliers de jeunes diplômés que déversent annuellement ses centres de formation sur le marché du travail, il se soucie encore moins du placement de ses nationaux compétents dans la fonction publique internationale et n’a jamais ébauché la moindre stratégie à cet effet.
Le désastre est donc complet et généralisé, dedans, dehors, partout, sur tout, et pour tout.


source: Le Messager du 05 Janv. 2005

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