La vie est ailleurs... (2)
C’est une logique compréhensible que celle qui
consiste pour les citoyens d’un pays, à se juger et à prendre
conscience de leur place dans le monde, en se renseignant sur le sort
des citoyens d’autres pays. C’est également une logique compréhensible
générale à tous les citoyens du monde, que de ne jamais perdre espoir
et de toujours croire que du discours de ceux qui les gouvernent,
pourrait naître des actes qu’ils attendent parfois depuis longtemps
pour changer leur sort.
Ainsi, du Cameroun qui navigue dorénavant
vers des horizons sombres en cette fin d’année 2004, ses citoyens
voudraient surtout retenir, en suivant l’actualité, que le pays s’est
définitivement enfermé dans l’obscurantisme, et que ses dirigeants,
pour n’avoir pris aucune initiative de réconciliation ou de
rassemblement réel, ne lui préparent plus qu’un destin sombre.
La
force des peuples a de tout temps été cette capacité qu’ont certains
comme le peuple sud africain, de redessiner leur destin par un élan
patriotique articulé sur des principes simples d’humilité et de pardon.
Il s’agit surtout d’un amour sincère des dirigeants pour leur pays et
la prédisposition à reconnaître leurs fautes. On attendait une Afrique
du Sud déchirée de part en part par des procès interminables et des
règlements des comptes au lendemain de l’accession de la majorité noire
au pouvoir, on a plutôt assisté à un triomphe de la sagesse qui aura au
moins contraint l’Occident particulièrement, de respecter un peu plus
ces gens que l’idéologie raciste avait traités de tous les noms
d’animaux sauvages.
En mettant sur pied la commission Vérité et
réconciliation, le pouvoir de l’Anc sous la conduite de Nelson Mandela,
ne s’est pas seulement rangé à cette rhétorique des sandinistes du
Nicaragua qui déclarèrent, “ notre vengeance sera le pardon ”, il a
montré aux dirigeants de la planète, la voie à suivre si effectivement
ils ont à cœur de rassembler leurs peuples, de redonner à la
coexistence des citoyens un sens, à la république une âme, et à
l’avenir un espoir.
Le citoyen camerounais de la fin d’année 2004,
se retrouve perdu, car après avoir en plus d’un quart de siècle attendu
une lueur d’espoir, et espéré que le discours se traduise enfin en
réalisations, il ne sent plus que la terre fondre sous ses pieds, le
pays chaviré comme un navire ivre sans capitaine, et sa jeunesse finir
comme un arbuste qui meurt dans un marécage.
Le Cameroun était déjà
un océan de haines et de désordres de tout genre, faisant penser que
son président ne manquera pas de saisir l’occasion d’une auto
réélection pour changer le cours de l’histoire, laver le linge sale en
famille, et même présenter ses excuses à ses compatriotes dans un
ultime élan d’humilité et de réconciliation.
Le peuple de cette
république de 475.000 Km2, avait assez de ces gouvernements
pléthoriques dont la seule spécialisation est de dévorer les richesses
nationales et de multiplier les gabegies insensées. Le pire était à
venir, puisqu’ils ont maintenant à la fois le gouvernement des nations
unies, le gouvernement des ethnies divisées, le gouvernement des amis
qui ne jurent que par “ chacun pour soi et Dieu pour tous, tant pis
pour celui qui pense au sort du pays ”.
C’est dans ce contexte,
que l’on apprend sur les ondes internationales, que le Maroc a commencé
le grand ménage, en mettant sur pied une commission dite “ équité et
réconciliation ”, pour exorciser les démons de la torture et de
l’oppression des années noires du régime d’Hassan II. A Moscou pendant
ce temps, les députés ont voté à l’unanimité pour mettre fin à la
célébration de la révolution bolchevik du 23 octobre.
Partout
ailleurs, les dirigeants réfléchissent sur le meilleur moyen et les
meilleures voies susceptibles de cultiver l’amour, la fraternité et la
solidarité entre les citoyens. C’est qu’en réalité, le pouvoir
politique ne serait qu’un instrument de Satan, s’il n’avait pas à cœur
de réussir le rassemblement et la cohésion à l’échelle nationale. Ce
que fait le jeune Roi Mohamed VI du Maroc aujourd’hui, n’est absolument
pas une surprise pour toute personne de bon sens. Il n’y a pas besoin
de qualifications extraordinaires pour comprendre que sans sondage du
passé et sans pardon, aucun régime construit sur les cendres de la
dictature et du sang des martyrs, ne peut se maintenir.
Comment le
roi pouvait-il en effet gouverner un peuple qui est passé par une des
oppressions les plus sanglantes du siècle dernier, sans avoir au
préalable communié avec ses sujets franchement ? A Moscou, Poutine qui
vient tout droit du Kgb (services secrets) dont il a été le patron, est
mieux placé pour connaître ce que les Russes ont vécu comme barbarie au
nom d’une révolution bolchevik qui au bout du compte aura avalé des
millions de ses enfants.
Comment dans ces conditions où le monde
semble faire par-ci et par-là le ménage indispensable à la
stabilisation de ses valeurs et nécessaire pour la refondation de
véritables institutions républicaines, accepter ou contempler sans mot
dire ce qui se passe au Cameroun ? Parce que 1982 avait constitué le
temps d’un formidable espoir pour les citoyens camerounais, ce qu’ils
vivent et les lendemains qu’ils redoutent sont trop tristes.
Depuis
le lancement des mouvements de revendication pour la démocratisation en
Afrique, le Cameroun apparaît indiscutablement comme le pays où toutes
les occasions ont été gâchées, les jeux faussés, et les ambitions
réduites à un recul permanent dans tous les domaines. Beaucoup
réalisent seulement maintenant la véritable signification de pays
pauvres et très endettés.
Le problème ici n’est pas qu’une situation
lamentable soit en cours, c’est que personne n’entrevoit de
perspectives nouvelles, de plans de changement à long ou à court terme,
ni aucun signe de modification de la philosophie directrice du pouvoir
dans un système si corrompu. C’est un désastre total et mieux un
désastre sans nom. La psychologie du pouvoir au lendemain de la
dernière configuration du gouvernement pléthorique de 70 personnes de
novembre 2004, a convaincu les derniers sceptiques sur l’absence de
tout sens de l’intérêt national dans la planification politique du
régime actuel.
Dans ce contexte, le Cameroun est devenu une vache
morte où des hauts fonctionnaires pressés de se servir, sont parvenus
au stade où ils vont tous croquer jusqu’aux os, exactement comme des
carnivores à l’abris de toute sanction. Pour quelques braves
compatriotes exilés qui caressaient encore le rêve d’une alternance de
nature à leur ouvrir la voie d’un retour dans un pays civilisé et
normalisé, il n’y a plus rien à attendre. Beaucoup sont maintenant
résignés à mourir à l’étranger.
Quant aux jeunes sur place, diplômés
ou non diplômés, les seules voies d’une évolution sont dorénavant
celles du vol, de la feymania, et de la délinquance internationale.
Pour les opérateurs économiques, le mot d’ordre semble être celui de la
clandestinité pour échapper à une dérive fiscale qui n’a pour seul
objectif que de trouver l’argent à tout prix pour financer les gabegies
insatiables des pontes du régime.
Déjà mal loti en énergie, sous
équipé en infrastructures urbaines, complètement arriéré aux plans
sanitaire et éducatif, le bilan que présente le Cameroun, est à tel
point effrayant, qu’il n’est pas maladroit de craindre le pire dans la
haute sphère du pouvoir. Et s’il faut ainsi craindre le pire, c’est
justement parce que la démarche qui aurait voulu que la plus haute
autorité du pays esquisse une réconciliation, a été définitivement
abandonnée en cette fin d’année.
Nous sommes donc en présence
d’un pays qui n’a fait aucun sondage de son passé depuis 1945 et qui
porte gravement sur son image, les traces de sang de plusieurs martyrs
dont les familles n’ont toujours pas fait les funérailles, parce que
les conditions des obsèques dignes de ce nom, n’ont jamais été réunies.
Il revenait au pouvoir issu de la transition paternaliste de 1982, de
régler les détails indispensables à l’accomplissement de ce pèlerinage
dans la mémoire collective de notre peuple, mais il a malheureusement
failli.
En fait, le désastre camerounais ne tient pas seulement en
ce constat d’un état des lieux chaotique où toute autorité réelle a
disparu, et où les principaux repères d’une société organisée ont été
remplacés par des égoïsmes et des tribalismes institutionnalisés, il
tient aussi à la crainte relayée dans toutes les conversations, d’un
changement brutal au sommet du pouvoir à défaut d’un changement ordonné.
L’histoire
nous enseigne que les régimes autocratiques bloqués ont succombé soit
par une révolution de palais, soit par les effets combinés d’une
pression de la rue et d’une intervention extérieure.
Les révolutions
de palais ont régulièrement été diligentées par des proches ou des
adeptes des cercles intimes du pouvoir. Les auteurs dans ce cas
agissent soit pour laver des affronts personnels, soit pour satisfaire
des ambitions inavouées, soit par procuration pour des commanditaires
cachés. Ils peuvent aussi agir par réel patriotisme pour mettre fin à
des dérives grossières. Traditionnellement, et en s’appuyant sur le cas
du renversement de Bourguiba par Ben Ali, on s’accorde pour dire que
certains autocrates étant devenus presque fous, leur chute n’était plus
qu’un banal exercice de mise en résidence surveillée sans effusion de
sang ni besoin d’explication.
Pourtant, en dépit de l’élégance que
revêt souvent les révolutions de palais, des ratés peuvent intervenir
et c’est le début des problèmes inextricables qui peuvent déboucher sur
des carnages. La brouille survient en effet lorsque les auteurs de la
révolution de palais n’ont pas pu s’entendre sur les détails de la
suite de leur opération avant son déclenchement. il ne suffit donc pas
seulement de renverser un président, il faut encore bien programmer
avec une dextérité absolue, ce qui se passera après.
Les régimes
ultra ethniques courent toujours le risque des brouilles au lendemain
des révolutions de palais. La première raison tient au fait que les
auteurs étant bien souvent de la même ethnie que le détenteur du
pouvoir, ils tentent toujours de prendre la place du frère pour
maintenir les avantages du village. Or les leçons des réactions
populaires montrent que c’est la chose à ne pas faire car elle est tout
de suite inacceptable et rejetée par le reste de l’establishment
politique qui attend autre chose, et la société civile soutenue par les
partenaires extérieurs qui militent pour la transparence.
En somme,
la révolution de palais doit pouvoir simplement gérer les urgences,
mettre les gens compromis à l’écart, et définir le cadre et les
conditions d’une transition courte vers la démocratie. Transition ici
suppose un processus électoral clair prenant appui sur une loi
fondamentale fiable et des institutions effectivement républicaines.
Aucune révolution de palais tendant à perpétuer le pouvoir et la
gestion du village n’a donc de chance de succès. Elle peut au mieux
ouvrir la voie à une conférence nationale, et au pire plonger le pays
dans la guerre civile. Bien pensée et bien exécutée, elle est salutaire.
S’agissant
de l’émulation de la rue sous la forme de pressions diverses, de
marches de contestation, de villes mortes et de soulèvements des
secteurs entiers de la vie sociale et économique, il est possible que
les récriminations face aux pénuries de l’eau, l’électricité ou encore
les bas salaires, puissent engendrer à terme un processus de
renversement et de changement de régime.
C’est une banale grève
d’étudiants qui précipita la chute de Tsiranana à Madagascar en 1974,
alors que le régime se croyait tout puissant et à l’abris de surprises.
Ce qu’il convient de noter dans ce cas, c’est la difficulté qu’il y a à
donner une direction aux mouvements des foules dans la rue, et par
conséquent l’impossibilité de dégager un leader ou des leaders tout de
suite. Le risque est alors grand d’assister à une récupération par
quelques opportunistes aux idéologies imprécises et sans programmes
clairs. Madagascar dû passer par une succession de gouvernements
militaires dont certains rallièrent le discours marxiste juste pour se
faire accepter par la population.
Le problème qui se pose avec un
pays comme le Cameroun, c’est que une politique de destruction
systématique du mérite et de la compétence, ont créé un genre de
citoyen très opportuniste qui constitue l’essentiel de la classe
politique et de l’intelligentsia. En fait, la vie associative qui sert
de creuset à la formation des cadres, a fondu complètement dans le
découragement et le défaitisme. Les syndicats ont connu un sort
similaire, rongés par les querelles ethniques attisées habilement par
le pouvoir, et réduits en caisses vides.
Le désastre apparaît ainsi
au grand jour, où l’on s’aperçoit que non seulement on a complètement
détruit les fondements du pays en tant que république, mais mieux, on a
trompé le peuple sur les chances de changement, lui servant des
promesses jamais tenues, et créant finalement un pays divisé,
incertain, laminé par la haine, le doute et la misère. Rien n’a été
épargné, même le sport en a souffert et a été réduit au ridicule,
brisant de belles carrières internationales.
Au moment où
partout on pense à bâtir des grands projets pour demain, le Cameroun
n’est donc plus que ce pays où dès l’école primaire, les enfants de
moins de dix ans s’interpellent par leurs ethnies d’origine, et où il
vaut mieux être magouilleur, tricheur, corrompu, cancre, intriguant,
fraudeur et voleur, pour avoir des chances d’atteindre les sommets des
pouvoirs et de l’honorabilité. C’est le désastre, et c’est pour cela
que tout est devenu en fait possible et que tout peut arriver comme
l’avait déjà observé l’unique cardinal du pays il y a plus de cinq ans.
Le
plus grave c’est que le constat du désastre ne se limite pas à une
inacceptable décrépitude interne. Si hier on déplorait surtout une
image négative du pays à l’extérieur, aujourd’hui, c’est concrètement
d’une place et d’un rang insignifiants qu’il faut parler. Considéré en
effet comme un des pays africains de toute première importance sur le
plan diplomatique jusqu’en 1982, le pays a perdu toute considération
aux yeux de tout le monde dorénavant. Le Cameroun n’est plus influent
nulle part, ni prépondérant sur aucun dossier. Conséquence évidemment
attendue, ses nationaux se comptent sur les doigts d’une main dans la
haute fonction publique internationale.
L’outil diplomatique, le
personnel diplomatique, et tous les instruments qui concourent à
l’expression, la vie, et la formulation d’une présence internationale
ont été abandonnés à la déliquescence.
Si hier on rencontrait
facilement un Camerounais en ouvrant la porte du bureau d’un grand
directeur dans une organisation internationale, maintenant on a toutes
les chances de tomber sur un Gabonais, un Sénégalais ou un Congolais.
La vérité c’est que si le pouvoir de Yaoundé n’a aucune politique
d’emploi pour les milliers de jeunes diplômés que déversent
annuellement ses centres de formation sur le marché du travail, il se
soucie encore moins du placement de ses nationaux compétents dans la
fonction publique internationale et n’a jamais ébauché la moindre
stratégie à cet effet.
Le désastre est donc complet et généralisé, dedans, dehors, partout, sur tout, et pour tout.
source: Le Messager du 05 Janv. 2005